Inventaires en régions tropicales
Les champignons des petites Antilles (Martinique & Guadeloupe) par Régis Courtecuisse
avec la participation de :
Jacques Boidin, Françoise Candoussau, Jean Chabrol, Guy Durrieu , Jean-Pierre Fiard, Christian Lechat, Christophe Lécuru, Félix Lurel, et Jean Vivant.
Introduction
S’il est certain que la diversité fongique est considérable, il est encore difficile d’avancer un chiffre à ce sujet. Une évaluation largement popularisée (Hawksworth, 1991) porte à 1,5 million le nombre d’espèces de champignons à la surface de la terre. Cette évaluation a été controversée, considérée trop élevée (par exemple May, 2000, propose, 500 000 espèces) ou insuffisante (Cannon, 1997, oppose 9,9 millions d’espèces [!]) ; elle a été récemment revue de manière critique (Hawksworth, 2002) et, en conséquence, maintenue à 1,5 million d’espèces , à titre d’hypothèse de travail consolidée par des arguments supplémentaires.
Une autre approche consiste à procéder par extrapolation et à rechercher, dans un milieu donné, le rapport de diversité entre plantes supérieures et champignons ; de ce point de vue, si le rapport est toujours en faveur des champignons, les avis oscillent entre un rapport de 3,5 : 1 (Cifuentes et coll. , 1997) à 8,4 : 1 (Hawksworth, 2002 – comme hypothèse théorique). En Grande-Bretagne (et sans doute en Europe tempérée), le rapport pourrait atteindre 6,5 :1 (Roberts & Spooner, 1999) et se situer, pour arrondir selon un compromis volontairement modeste, vers 5 : 1. Il est vraisemblable que les conditions tropicales, favorables à l’expression d’une biodiversité foisonnante, autorisent l’hypothèse d’un rapport encore plus élevé dans ces régions : la diversité des organismes (bryophytes, lichens, champignons, animaux, etc.) auxquels peuvent être spécifiquement associés (dans différents rapports biologiques, du commensalisme au parasitisme, en passant par diverses symbioses) divers groupes fongiques est supérieure aux situations connues en zone tempérée. Tout ceci peut encore accroître les chiffres potentiels.
Connaissances actuelles sur les champignons de la Caraïbe et des Petites Antilles.
La synthèse colossale sur les champignons de la Caraïbe, récemment publiée par Minter et coll. (2001), concerne l’ensemble des Antilles (Grandes et Petites) et régions proches. Elle regroupe environ 11 260 espèces (tous les groupes, y compris les lichens, sont intégrés dans cette synthèse).
Aux Grandes Antilles, la bibliographie est relativement riche ; actuellement, des activités intenses s’y déroulent, à Cuba par exemple, surtout dans le domaine des micromycètes (pour les champignons lamellés, Pegler, 1987a, 1987b, 1988, a effectué une récente mise au point sur cette île), mais aussi dans le cadre d’un projet mené par l’université de Porto Rico sur ce territoire américain (D.J. Lodge). Pour plus de renseignements, voir le site en cliquant ici.
Par contre, les travaux consacrés aux champignons des Petites Antilles sont plus rares, hormis pour quelques îles comme Trinidad et Tobago, par exemple (voir Baker & Dale, 1948, 1951). Pourtant la diversité potentielle y est également a priori considérable. Malheureusement, l’extrapolation envisagée plus haut, pour évaluer une diversité fongique potentielle (sur la base, probablement sous-évaluée, rappelons-le, du rapport champignons:plantes de 5:1), y est presque impossible puisque la flore de Howard (Gray & Sweet, 1974 ; Howard, 1979, 1988, 1989a, 1989b), document de référence sur les phanérogames des Petites Antilles, ne comprend pratiquement que les plantes indigènes, à quelques exceptions près, pour un total d’environ 3 000 espèces. Cette diversité floristique est loin de représenter l’ensemble des niches disponibles pour les champignons de cette région. Le calcul basé sur Howard donnerait seulement 15 000 espèces fongiques, ce qui semble largement insuffisant au regard de la diversité potentielle des Antilles françaises (voir plus loin). Il me semble concevable que la diversité fongique potentielle des Petites Antilles puisse se monter à 20 ou 30 000 espèces fongiques.
Au sein des Petites Antilles, les îles françaises (Martinique, Guadeloupe et dépendances, connues sous le nom de « French West Indies » ou F.W.I.) présentent un acquis mycologique actuel relativement pauvre. Seuls quelques travaux spécifiques peuvent être énumérés : citons, parmi ceux majoritairement qui y sont consacrés : Patouillard (1889, 1899, 1900, 1902, 1903), Duss (1903, 1904), Questel (1951), David (1974), Sherwood (1974), Singer & Fiard (1976), Boidin & Lanquetin (1977), Pegler, & Fiard (1978, 1979), Pegler, & Singer (1980), Kohlmeyer (1981), Pegler (1983a), David & Rajchenberg (1985), Boidin & Lanquetin (1991), Courtecuisse & Fiard (2005).
C’est dans ce contexte que j’ai mis au point un un programme de recherches visant prioritairement à accroître les connaissances mycologiques aux Petites Antilles ; un autre but de ce programme est de faire prendre en compte les champignons dans les opérations d’évaluation patrimoniale et fonctionnelle des milieux naturels. Pour ce deuxième volet, la Martinique et la Guadeloupe pourront plus facilement être concernées, en tant que territoire français. En effet, l’importance des champignons dans une approche intégrée de la gestion et de la conservation des sites naturels est actuellement reconnue en métropole, en particulier à la suite de recherches menées depuis une dizaine d’années [par R. Courtecuisse en collaboration avec divers chercheurs, dans le cadre de plusieurs programmes – voir Courtecuisse & Daillant (1998), Courtecuisse et coll. (1997), Moreau et coll. (2002)] et il est clair que l’acquisition de nouvelles connaissances mycologiques, ainsi que la structuration de toutes les données disponibles pour les îles françaises des Petites Antilles, serait profitable à une meilleure gestion de l’environnement, grâce à la prise en compte du potentiel bio-indicateur des organismes fongiques.
À titre de point de départ et avant d’atteindre cette phase analytique des données et d’en tirer tous les enseignements attendus, il faut faire un bilan des connaissances existantes ; bilan sur lequel pourront d’adosser les prochaines expéditions.
L’ouvrage de Pegler (1983a), référence actuelle sur les champignons lamellés des Petites Antilles, énumère 188 espèces de champignons lamellés pour la Guadeloupe et 350 pour la Martinique, pour un total d’environ 430 espèces sur l’ensemble des deux îles. Le caractère fragmentaire de cette synthèse (qui a pourtant, bien sûr, l’immense mérite d’exister) est évident ; de très nombreuses espèces supplémentaires ont d’ores et déjà été récoltées, en Martinique et en Guadeloupe (et dépendances), en particulier par Jean-Pierre Fiard et moi-même, respectivement, et quelques autres récolteurs (Jean Chabrol en Guadeloupe, par exemple). Pour les autres groupes de champignons (certains étant encore bien plus mal connus), cette constatation s’applique également : un nombre considérable d’espèces reste à découvrir et à décrire dans cette région du globe. Les calculs de diversité potentielle, appliqués à la Guadeloupe et à la Martinique, atteignent 15 605 espèces fongiques (le nombre de plantes supérieures étant de 3 181, selon Fournet, 2002) ; la compilation que j’ai réalisée et que je propose ci-dessous réunit environ 1 100 taxons, soit bien moins du dixième seulement de la diversité potentielle.
Il faut toutefois remarquer que mon dépouillement n’a pas concerné les champignons phytopathogènes, bénéficiant probablement d’une littérature spécialisée abondante ; ce domaine devra être envisagé en détail pour compléter le présent inventaire préliminaire. L’aide de spécialistes sera nécessaire pour traiter cette question.
Le petit tableau récapitulatif suivant, même si les chiffres résultent partiellement d’extrapolations qui peuvent sembler hasardeuses, indique bien l’immensité de la tâche restant à accomplir dans la région caraïbe et dans le domaine particulier concerné par le programme que j’ai élaboré.
Antilles (Grandes + Petites) |
Petites Antilles | Antilles françaises |
|
Diversité potentielle | 30 000 espèces ? | 15 605 | |
Diversité connue | 11 260 (Minter et coll. ) |
environ 1 100 |
Liste des taxons
Cette liste reprend l’ensemble des taxons, publiés ou non, dont j’ai pu avoir connaissance sur le territoire considéré. Les données publiées proviennent d’un dépouillement personnel de la littérature, mais aussi des informations issues de la synthèse de Minter et coll. (2001), travail remarquable mais toutefois incomplet et comportant quelques erreurs (espèces en fait absentes de notre territoire d’étude). J’ai aussi pris en compte les récoltes inédites déterminées avec un degré raisonnable de certitude, effectuées depuis plus de 30 ans par divers mycologues, professionnels en mission, amateurs en voyage d’étude ou en vacances, mycologues de haut niveau résidant sur place. Un très grand nombre d’autres récoltes, encore à l’étude, ne sont pas intégrées à la présente liste préliminaire et feront l’objet d’une série de publications taxonomiques descriptives, présentant en détail les taxons intéressants, rares ou nouveaux.
La structure des informations citées ici est la suivante :
1) Chaque genre possède une entrée regroupant les données suivantes :
Genre [auteurs] année, source bibliographique, page [ordre et famille d’appartenance] ; l’attribution systématique est largement inspirée de Kirk et coll., 2001 ou du site du CABI, parfois modifiée en cas d’interprétation personnelle divergente (en particulier pour les champignons lamellés) [ces renseignements ne sont donnés que pour les genres comprenant des espèces retenues].
2) Chaque taxon est ensuite énuméré, avec les données suivantes :
Nom, auteurs, année et citation complète des références bibliographiques (lorsque cela est possible) .
Basionyme : le basionyme est systématiquement mentionné de même que les synonymes. Les mentions : Fr. et : Pers. [sanctionnement nomenclatural] figurent en gras au niveau du basionyme, de manière à attirer l’attention sur ce statut particulier du nom (je rappelle que le sanctionnement n’est effectif qu’à son rang hiérarchique). Dans les listes de synonymes, le signe = indique une synonymie nomenclaturale (homotypie) et le signe = indique une synonymie taxinomique. Les synonymes sont classés par ordre chronologique des basionymes puis, pour chaque épithète, par ordre chronologique des combinaisons qui ont été faite sur sa base.
– Références bibliographiques [avec secteur géographique, lorsque cela est connu ; date(s) de récolte ; détails importants (écologie ou données relatives à l’holotype) sont également ajoutés le cas échéant] ;
ou
– Récoltes inédites [localisation, écologie, leg., dét., herbier, date ou année].
Afin de ne pas alourdir cette liste préliminaire, la plupart des informations relatives aux détails de récolte ne sont précisés que pour les données inédites. Pour les autres, le lecteur se reportera aux publications citées en référence ; cependant, les informations comprises dans l’ouvrage de Patouillard in Duss (1903) étant peu accessibles, il m’a semblé utile de les citer largement ici.
Notons que les noms issus de la littérature ancienne (par exemple ceux utilisés par Patouillard) posent quelques problèmes ou risquent d’introduire des erreurs. En effet, dans la liste qui suit, ils ont été « traduits » dans leurs correspondances taxinomique et nomenclaturale actuelles. Or, rien ne prouve (sans révision du matériel authentique, déposé à FH, révision possible, par demande de prêts, mais qui n’a pas été entreprise pour le moment) que l’interprétation du nom en question correspond bien au concept initial de son auteur (attesté, dans un certain nombre de cas, par les publications consécutives aux révisions de types). Par exemple, lorsque Patouillard cite une espèce A de Berk. & Curt. il a pu se tromper dans sa détermination ; cela ne peut être révélé qu’en étudiant les échantillons authentiques. En attendant, et suite aux « traductions automatiques » partant du principe que Patouillard ne s’est pas trompé, on risque de trouver dans la liste un nom finalement erroné, laissant à penser que l’espèce en question est présente aux Antilles françaises alors qu’il n’en est rien. Afin d’attirer l’attention du lecteur sur ce type d’erreur possible, les espèces en question sont citées en caractères normaux (non gras), voire en corps 10 lorsque le doute est particulièrement sérieux (avec éventuellement une note complémentaire à la fin de la liste des références bibliographiques) [les espèces présentes avec un degré raisonnable de certitude sont, par contre, présentées en caractères gras].
Enfin, les synonymes renvoient au nom retenu (en gras), seulement pour les synonymes utilisés dans les travaux traitant de taxons ou de récoltes effectives pour les Antilles françaises (dans les deux versions de cette liste – voir note infra-paginale 2).
Il faut noter également que les espèces signalées à la suite d’erreurs manifestes ou dont la présence aux Antilles françaises est par trop douteuse sont réunies dans une annexe, en fin de liste. Seul leur nom est maintenu dans la liste, avec un renvoi à cette annexe.
Le contrôle de toutes les informations présentées est indispensable, dans le moindre détail. Sans cet effort, un inventaire n’est que la répétition (et la caution !) des innombrables erreurs présentes dans la littérature et dans les bases de données actuelles, même les plus réputées, même émanant d’institutions officielles prestigieuses (erreurs parfois grossières, voire monstrueuses, amenant à des erreurs d’interprétation taxinomique !). Le signe [!] indique que j’ai vu et contrôlé personnellement l’information présentée (années, auteurs, numéros de volumes et de pages, etc., pour les données d’ordre nomenclatural ; publication où une mention aux îles qui nous concernent est signalée). Cela n’est pas une garantie absolue de vérité et de certitude nomenclaturale (des antériorités peuvent échapper, en particulier) mais cela atteste au moins de certains détails techniques (comme les noms de revues, années et pages de publication, validité nomenclaturale…). Ce contrôle est encore en cours car il est évident que c’est un travail (encore une fois indispensable dans toute indexation sérieuse) qui prend un temps inimaginable, après la rédaction du « premier jet inventorial ». Dans cette liste, les données déjà effectivement contrôlées ([!]) figurent en noir. Tout le reste est en vert, sauf quelques éléments en rouge, qui correspondent à des détails manquants, dans l’état actuel des recherches. Le tout est donc évolutif et sera mis à jour en fonction de l’avancée du travail restant, de ce point de vue.
Pour les citations d’espèces, là aussi, les choses évolueront en fonction de dépouillements bibliographiques complémentaires (surtout dans le domaine des Micromycètes parasites de plantes, où presque tout reste à faire) et de l’acquisition de publications manquantes. Ce sont surtout les déterminations de matériel récolté au cours des missions inhérentes au programme de recherches évoqué plus haut qui alimenteront ces ajouts de la manière la plus significative. Une fois la version préliminaire publiée (sous une forme qui reste à définir), cet inventaire sera tenu à jour et probablement mis à la disposition des personnes intéressées par le biais d’un site Internet, support idéal pour des données en constante évolution.
[Note sur les Uredinales : Thurston & Kern [1933, Mycologia 25 (1), p. 60] indiquent 14 espèces de rouilles connues en 1932 pour la Martinique et 6 pour la Guadeloupe, sans dresser de liste de ces espèces].
Des demandes de financement sont en cours. Le principe est d’amener un groupe de 10 mycologues, aux spécialités diverses, explorer les Petites Antilles, un mois par an (périodes variées) pendant plusieurs années consécutives. Sans financement spécifique, ce programme ne pourra être mené dans de bonnes conditions, mais des visites occasionnelles seront néanmoins effectuées, dans la mesure des possibilités des participants.
Il existe deux versions de cet inventaire des champignons des Antilles françaises ; l’une présente une synonymie exhaustive (si tant est que cela soit possible…) pour toutes les espèces présentes avec certitude (synonymie parfois fort longue, dans le cas de certains polypores en particulier, dont la liste synonymique peut s’étendre sur plus d’une page…) ; l’autre version, ici présentée – site Internet de la SMF –, destinée à être publiée, présente une liste synonymique limitée au basionyme et aux noms utilisés dans les publications concernant le territoire étudié. De plus, cette version est expurgée des taxons inédits, c’est-à-dire connus aux Antilles à partir de récoltes récentes inédites (missions personnelles 2003-2005) – ces récoltes et taxons complémentaires feront l’objet de publications spécifiques et seront progressivement intégrés à cet inventaire, au fur et à mesure de leur parution dans la littérature.
Merci de me faire part de tout commentaire sur des données manquantes (me contacter).
Annexe Inventaires en régions tropicales
Les champignons de Mayotte par Bart Buyck